«L’argent de mes clients a aussi servi au financement du génocide par la France»
Couverture La Nuit rwandaise n°3
7 avril 2009

En 1991, Martin Marschner est directeur commercial des OPCVM (Organisme de Placement Collectif de Valeurs Mobilières) auprès d’une grande banque française, le Crédit National, qu’il quittera en avril 1991 pour devenir « apporteur d’affaire » à Rochefort Finances.

Jusqu’au mois de septembre 1994, il collectera ainsi plus de 207 milliards de francs de placement pour Rochefort Finances auprès de grands « institutionnels » et entreprises publiques, parmi lesquels la RATP, la SNCF, CEA, la SEITA, Air France, la Banque de France…

1994 : DES PERTES ABYSSALES

Fin août 1994, M. Morlet, directeur général de Rochefort Finances, avise Martin Marschner d’une perte importante, perte confirmée le 7 septembre par M. Dumas (président de Rochefort Finances jusqu’en avril 1994 puis conseiller de son président) qui indique qu’elle dépasserait les 600 millions de francs…

Des manipulations douteuses sont à l’origine de ces pertes abyssales, et notamment l’usage systématique par la société Rochefort Finances de pratiques frauduleuses sous forme de « doubles valorisations » des cours ou de « lissages de comptes ». Les gérants utilisaient notamment quatre emprunts contrôlés (Compagnie BTP, Cofidis, Cofinoga, et GITT) dont les cours étaient ajustés artificiellement à la hausse de façon à compenser les pertes réalisées sur des investissements spéculatifs, sur le marché obligataire et les marchés dérivés. Apparaissent ainsi de graves fautes de gestion et des pratiques illégales au vu des règles fixées par l’Autorité des Marchés Financiers [AMF] comme par le droit français.

Cependant, le 15 septembre 1994, à la surprise de Martin Marschner, M. Ruset, président de Rochefort Finances et de sa maison-mère, la Caisse Centrale de Réassurance [CCR], adresse à la Commission des Opérations de Bourse [COB] un courrier dans lequel il confirme que la CCR a entièrement pris à sa charge la régularisation de la situation de la SICAV Rochefort Court Terme. Selon Martin Marschner, cette régularisation aurait visé à camoufler les opérations délictueuses et les diverses infractions commises par la société.

En effet, la Caisse Centrale de Réassurance, grâce à des fonds publics, aura renfloué dans sa totalité la SICAV Rochefort Court Terme, soit au final près d’un mil- liard de francs, et ce, alors qu’elle n’en détient que 60 % des parts, bien que cette dernière semble avoir commis de graves fautes de gestion.

Si la COB n’a pas, pendant quatre années, remarqué ces « anomalies » de gestion, elle ne réagira pas plus le 14 septembre 1994, bien qu’informée des pratiques douteuses, alors que celles-ci se reproduisent. Un scandale de cet ordre aurait dû secouer toute la place financière de Paris. Il intéressera à peine quelques journaux financiers…

FINANCEMENT OCCULTE

Cependant cet argent ne s’est pas envolé pour tout le monde, et selon Martin Marschner, le renflouement par la CCR pourrait avoir pour but d’éviter de révéler le montant exact des fonds ainsi détournés mais surtout leurs bénéficiaires.

Selon les dirigeants de la CCR, ces manipulations, « effectuées à l’insu des administrateurs de la SICAV, de son président et de la CCR elle-même », auraient pour but de masquer les contre-performances des gestionnaires. Leur seul objectif aurait été de “lisser” la performance de la SICAV afin d’en conserver la clientèle.

Martin Marschner n’est pas du même avis. Selon lui, les pertes subies par la SICAV étaient « préorganisées » afin de dégager des sommes d’argent qui auraient notamment pu servir de financement à des partis politiques. À l’appui de ses affirmations, il avance, dès 1995, des documents internes à Rochefort Finances, documents qu’il nous a fournis et qui sont disponibles sur le site de la revue.

Informé bien tardivement de ces pratiques qui semblent avoir lieu depuis 1991, le conseil de discipline des OPCVM prendra, le 8 décembre 1995, diverses sanctions à l’égard des gestionnaires et de la société Rochefort Finances.

S’ensuit un long combat juridique entre Martin Marschner et la CCR, cette dernière l’accusant d’avoir bénéficié des irrégularités de gestion de la SICAV tandis qu’il fait valoir une clause du contrat le liant à Rochefort Finances pour obtenir réparation du préjudice que la gestion de Rochefort Finances lui a causé, ces faits délictueux ayant entraîné la perte de confiance de sa clientèle.

Depuis, Martin Marschner a enquêté. Si, dans un premier temps, il aura cru que le système mis en place servait à financer des partis politiques, ses investigations vont peu à peu le conduire à mettre à jour un circuit de financement qui aurait, selon lui, principalement bénéficié aux « services » français : DST et DGSE.

LA CCR ET LE FINANCEMENT DU GÉNOCIDE

Ses investigations semblent, dans un premier temps, le conduire sur la piste de livraisons d’armement vers la Yougoslavie. Puis un compte approvisionné par Rochefort Finances à la BNP paraît lui indiquer un lien possible entre les sommes délictueusement détournées par les gestionnaires de la société et le financement de plusieurs livraisons d’armes en direction du Rwanda.

Il rentrera en contact avec Patrick Saint-Exupery, en 1998, pour lui faire part de ses découvertes. Il en informera également par la suite l’association Survie, initiatrice de la CEC et engagée dans la dénonciation du soutien français apporté aux génocidaires rwandais, et enfin Colette Braeckman, journaliste au Soir de Bruxelles et spécialiste de la région des Grands Lacs.

Les spécialistes financiers du journal belge se penchent alors sur les éléments qu’il leur transmet. Tout semble concorder et appuyer la thèse de Marschner. Mais pour démontrer ce mécanisme de financement ayant notamment servi à payer des livraisons d’armes pour le compte des génocidaires rwandais, avant et même pendant le génocide, il manque à Marschner une pièce capitale : les livres de compte de la Banque Nationale du Rwanda [BNR]. Sans eux, les journalistes ne veulent pas dévoiler l’affaire.

Une enquête de la COB [Bulletin de la COB, n° 358, Juin 2001] sur ces manipulations frauduleuses révélera qu’elles deviennent spectaculaires sur une période qui s’étale du mois de mars 1994 à la fin du mois d’août de la même année. Et si des sanctions sont prises contre les gestionnaires de Rochefort Finances, personne ne semble vouloir s’emparer du dossier de Marschner et rechercher les bénéficiai- res de ces pratiques délictueuses.

Finalement, le 18 janvier 1996, Martin Marschner dépose une plainte avec constitution de partie civile, demandant, entre autre, que « les bénéficiaires de ces opérations prohibées soient déterminés », appelant de ses voeux la mise en place de véritables investigations permettant de mettre à jour les « bénéficiaires des libéralités consenties par la société ».

Il sera contacté en 2006 par la Commission Mucyo et plusieurs rencontres auront lieu entre Marschner et les enquêteurs rwandais, très intéressés par son dossier. Tandis qu’il leur transmettait tous les documents qu’il avait en sa possession, il a pu s’assurer que les Rwandais détenaient les dossiers de la Banque Nationale du Rwanda, pièces indispensables pour prouver le financement du génocide par la CCR, mais également les documents bancaires des ambassades rwandaises à l’étranger.

Le rapport de la Commission Mucyo semble avoir fait l’impasse sur le dossier Marschner. On peut, en effet, lire sans plus d’explications, à la page 296 du rapport, que « l’enquête sur ce sujet n’a pas permis de confirmer les accusations de M. Marschner ». L’apparent désintérêt du Rwanda pour le dossier Maschner est-il le résultat des manoeuvres initiées par le Quai d’Orsay ?

Martin Marschner, de son côté, continue à affirmer que les pièces dont il dispose – et qu’il est prêt à transmettre à toute personne voulant enquêter sur cette question du financement du génocide par la CCR – apportent la preuve irréfutable du financement du génocide par la France.

Il revient sur cette affaire dans un entretien accordé à La Nuit rwandaise :

https://www.lanuitrwandaise.org/l-argent-de-mes-clients-a-aussi,197.html

9 officiers supérieurs français portent plainte contre La Nuit rwandaise

Le 8 juillet 2011, le directeur de publication de la revue La Nuit rwandaise, Michel Sitbon, a ainsi été mis en examen, suite à la plainte de neuf officiers supérieurs de l’armée française. Ceux-ci s’estiment diffamés par la publication sur le site Internet de cette revue, www.lanuitrwandaise.net, en août 2008, d’un communiqué du ministère de la justice rwandais dans lequel ils sont désignés, ainsi qu’une vingtaine d’autres responsables politiques et militaires français, comme étant impliqués dans le génocide des Tutsi de 1994. Une plainte similaire a également été déposée contre le site du Nouvel observateur et son directeur de publication de l’époque, Denis Olivennes.

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