« Si on parle de ce qui se passe dans nos universités françaises, ces idées racialistes, indigénistes, qui viennent des campus américains, cette idéologie… idée différentialiste, aujourd’hui, elle n’a pas gagné selon vous dans les universités françaises ? Vous n’avez pas l’impression qu’elle gagne du terrain chaque jour ? »
— Question de Léa Salamé à Gérald Darmanin, France Inter [1], le 1er février 2021
Islamo-gauchisme » : malaise à l’université…
C’est la « guerre de tranchées » à l’université titre Le Monde le 15 mars dernier. En plus des tensions sur l’écriture inclusive et les questions de genre et de « race », l’« islamo-gauchisme » y fait une entrée remarquée dans les débats. L’université est présentée par le journaliste Samuel Laurent comme étant le lieu de « tensions », opposant des « chercheurs qui travaillent sur des concepts tels que les études de genre, les questions coloniales ou les phénomènes de racisme systémique, et ceux qui estiment que ces travaux sont inutiles, militants, voire dangereux, car participant d’un repli identitaire ».
Les propos de l’exécutif —et plus particulièrement ceux des ministres de l’Éducation et de la recherche— sur l’« islamo-gauchisme » ne seraient venus qu’amplifier des tensions qui, toujours selon Le Monde, « traversent depuis des mois les milieux universitaires ».
Cinq mois plus tôt, le 1er novembre 2020, Le Monde publiait une première tribune [2] d’une centaine d’universitaires (le Manifeste des 100 [3]) en soutien à Jean-Michel Blanquer, qui venait de dénoncer au micro d’Europe 1 l’« islamo-gauchisme » qui selon lui ferait « des ravages à l’université » (et qui aurait « conditionné » l’assassin de Samuel Paty).
Comme le ministre de l’Éducation, et comme la présentatrice de la matinale de France Inter, les signataires accusent « les idéologies indigéniste, racialiste et décoloniale », transférées selon eux des campus nord-américains, de « gagner du terrain chaque jour », voire de déjà « gangréner » l’université française. Une « doxa anti-occidentale » serait diffusée par ces « courants » qui imposeraient par « un militantisme parfois violent » leur volonté hégémonique en nourrissant une « haine de la France », et même une « haine des “Blancs” ».
Le 2 novembre, Le Monde publiait une nouvelle tribune de professeurs et de chercheurs, en réponse et en opposition à la première, dénonçant « une mise au pas maccarthyste de l’université », « une attaque contre la liberté académique » et même « contre l’État de droit démocratique ».
Le 20 février 2021, dans une tribune également publiée dans Le Monde, ce sont plus de 600 chercheurs et enseignants du supérieur qui demandaient la démission de leur ministre de tutelle, Frédérique Vidal, après qu’elle a, elle aussi, dénoncé sur CNews « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène », selon elle, non seulement l’université, mais « la société dans son ensemble ».
Les signataires déplorent « l’indigence de Frédérique Vidal, ânonnant le répertoire de l’extrême droite » et qui « fait planer la menace d’une répression intellectuelle » à l’université ciblant pêle-mêle « les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité ».
Le CNRS, rappelant que ce terme ne correspondait à aucune réalité scientifique, comme la Conférence des présidents d’université, a dénoncé l’utilisation politique et polémique de cette notion confuse qu’est « l’islamo-gauchisme », ainsi que la « chasse aux sorcières » que le gouvernement entendait mener dans le milieu universitaire.
Quant aux « études décoloniales » en France [4], vilipendées par tous les médias, elles se révèlent en réalité avoir un espace très réduit à l’université, s’insérant de surcroît dans des disciplines et des champs de recherche spécifiques et variés, parfois en opposition [5].
L’université, comme les médias, semble ainsi être l’enjeu d’une « guerre idéologique » ou d’une « guerre culturelle ». Peut-être parce que, comme l’école, plus résistante que l’espace médiatique à l’offensive de la contre-révolution conservatrice, elle semble encore le lieu d’âpres combats.
L’extrême droite à la conquête de l’espace médiatique
La « haine des “Blancs” » et son corollaire, le « racisme anti-blanc », tout comme « l’islamo-gauchisme », thématiques jusque là réservées aux journaux et magazines d’extrême droite (Minute, Rivarol, Présent, Causeur, Valeurs Actuelles…), occupent aujourd’hui les débats radiophoniques et télévisés des médias les plus influents. La « gangrène » de la société française par « l’islamo-gauchisme » et « l’idéologie décoloniale » y est dénoncée par des membres du gouvernement, par des élus et des femmes et hommes politiques comme par une série de journalistes et d’éditorialistes en vue.
Le rôle des radios (Europe 1, RTL, RMC, France Info, Radio Classique, France Inter…) et de la presse (Le Figaro, Les Échos, L’Express, Le Point, Valeurs Actuelles, Marianne…) ayant favorisé cette orientation du débat public est analysé par l’observatoire des médias Acrimed [6] qui revient aussi sur les mécanismes propres aux chaînes d’information en continu (CNews, BFM TV, LCI) à même d’expliquer « la radicalisation à droite et à l’extrême droite » du débat public tout en rappelant qu’« analyser ces mécanismes comme des accélérateurs ou des conditions objectives favorables ne revient pas, toutefois, à nier la dimension proprement idéologique et politique à l’œuvre dans cet enracinement » [7].
Pauline Perrenot [8] y explique aussi comment des « propos racistes, baptisés au mieux “polémiques”, au pire “coup de gueule”, structurent le débat public » mettant à l’honneur un « journalisme de la petite phrase » dont « l’extrême droite, qui a toujours fait du scandale et de la provocation une stratégie politique, tire profit, a fortiori quand elle dispose de nombreux porte-parole rodés et bien en place, invités quotidiennement ou salariés par les chaînes d’info ».
Les « dérapages » d’Éric Zemmour
— « C’est parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est un fait », niant la réalité des contrôles au faciès, dans l’émission Salut les terriens, sur Canal+, le 6 mars 2010 ;
— « Pétain a sauvé les Juifs français ! » sur le plateau d’On n’est pas couché, en octobre 2014, polémique relancée en 2018 lorsqu’Emmanuel Macron justifie l’hommage rendu au maréchal Pétain ;
— « Hé bien votre mère a eu tort (…) Corinne, ça vous irait très bien » à Hapsatou Sy à propos de son prénom en septembre 2018 dans l’émission Les Terriens du dimanche sur C8, ajoutant « votre prénom est une insulte à la France. Parce que la France n’est pas une terre vierge, c’est une terre avec une histoire, un passé, et les prénoms incarnent l’histoire de la France » ;
— « Ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont ! Il faut les renvoyer ! » à propos des mineurs étrangers réfugiés le 30 septembre 2020 sur C News ;
— …
Comme le rappelle Acrimed, nombreux exemples à l’appui, « au-delà du seul cas d’Éric Zemmour [9], on assiste ces dernières années à une banalisation et à un enracinement des discours d’extrême droite, islamophobes ou racistes dans les médias dominants. »
Les collaborateurs et collaboratrices de Valeurs Actuelles sont par exemple régulièrement invités à animer des chroniques (Carrément Brunet sur RMC, L’édito de Catherine Nay sur Europe 1, Les Grandes gueules sur RMC…) et participent à de nombreuses émissions de débat, généralement requalifiées « d’actualité politique » (Le Débat sur LCI, 28 minutes sur Arte, On refait le monde sur RTL, C dans l’air sur France 5…).
Constatant cette hégémonie des thématiques de l’extrême droite « dans l’espace public, en particulier l’espace médiatique », Abdellali Hajjat [10] met en lumière dans son Carnet de recherche « un phénomène méconnu de circulation des personnes et des idées » ayant entrainé cette « universalisation du cadrage idéologique d’extrême droite ». Son analyse est focalisée sur le rôle important qu’y a joué Valeurs Actuelles, magazine dont Hajjat rappelle qu’il est un « héritier du fascisme français [11] » et plusieurs fois condamné par la justice pour provocation à la discrimination et à la haine.
Valeurs Actuelles est aussi le magazine où ont été publiées, en avril et en mai dernier, les deux tribunes d’extrême droite signées par des généraux et militaires français.
L’« alt-right » française sur Internet : la « fachosphère »
Mais qu’est-ce que l’« alt-right » ? Le terme « alt-right » a été inventé par Richard Spencer comme « une nouvelle marque pour la droite radicale » américaine, explique Shannon Reid [12], de l’Université de Caroline du Nord : « c’était pour dire : oh, ce n’est pas la “vieille” droite radicale, c’est une nouvelle “alt-right”, une droite alternative. Ça faisait en sorte d’avoir l’air moins raciste ». Dexter Thomas [13], ancien journaliste du Los Angeles Times, présente ainsi l’« alt-right » comme « des racistes avec une stratégie marketing », ajoutant qu’« ils rendent le racisme à nouveau cool pour une certaine catégorie de personnes ».
L’« Alt-right » est à la convergence de « cinq grandes mouvances [14] » explique William Audureau dans Le Monde, revenant sur les travaux de Tim Squirrel [15] : les « shitposters » et « trolls », les « anti-progressive gamers » ou joueurs antigauche, les « men rights activists » ou militants masculinistes, les « anti-globalization » (en guerre contre la « vermine mondialiste ») et les « suprémacistes blancs ».
« Un amalgame de théoriciens du complot, de techno-libertaires, de nationalistes blancs, de défenseurs des droits des hommes, de trolls, d’antiféministes, de militants anti-immigration et de jeunes gens qui s’ennuient » résument Alice Marwick et Rebecca Lewis [16].
Selon M. Ambedkar, l’« esthétique unificatrice » de l’ « Alt- right » américaine serait la suivante :
— M. Ambedkar, « The Aesthetics of the Alt-Right », Post-Office Arts Journal, February 11, 2017.
– La vénération de la tradition et d’un passé idéalisé (« Make America Great Again ») ;
– La peur de la différence qu’elle soit sexuelle, sexuée, religieuse ou “raciale” ;
– Un culte de la masculinité qui tend à se manifester par une obsession pour les questions liées à la sexualité (mise en avant « l’art de la drague en ligne » et des rôles hétéronormativement genrés incarnés par la famille nucléaire) ;
– Une hostilité envers la démocratie parlementaire et la pensée critique ;
– Une croyance dans la guerre permanente et dans le culte de « l’action pour l’action » ;
– Un culte de la technologie, non pas hérité de la raison des Lumières, mais une foi dans la technologie comme pouvant permettre de conquérir et de réaffirmer l’inégalitarisme.
Audrey Travère dans Le Monde nous apprend que c’est « une mouvance d’extrême droite née à la fin des années 2000, mais qui s’appuie sur des références racistes relativement classiques » : « l’objectif est de défendre une culture occidentale blanche qui serait menacée ».
« L’alt-right » américaine « prône aussi la création d’un “ethno-État“ blanc et la mise en place d’un “nettoyage ethnique“ qualifié de “paisible“ [17] ». La journaliste ajoute que « les militants de l’alt-right luttent également contre les droits des femmes, des immigrés, des homosexuels et des transsexuels ».
— Audrey Travère
« Alt-right », « suprémacistes blancs », « néonazis », membres du Ku Klux Klang et jusqu’au Tea Party (l’aile droite des Républicains) forment ainsi la « galaxie de l’extrême droite américaine » très active sur les médias et Internet, des réseaux sociaux aux forums de jeux (Gamergate) et de discussion (4chan, Reddit…). Elle aura pleinement participé à la victoire de Donald Trump aux primaires des Républicains puis, dans la foulée, à l’élection présidentielle.
L’artisan de la victoire de Donald Trump, Steve Bannon, avait en 2012 pris les rênes du site Breitbart, qu’il qualifiait lui-même de « plateforme de l’alt-right » [18], avant d’être promu, en août 2016, directeur général de la campagne ayant donc permis la victoire du magnat de l’immobilier :
« Breitbart.com a largement bénéficié de la campagne présidentielle et de l’émergence de Donald Trump. Porté par un mélange d’informations choisies pour alimenter les vues d’un lectorat ultraconservateur et des billets d’opinion très marqués à droite, le site dépasse aujourd’hui largement des sites comme Politico.com ou TheAtlantic.com, références du journalisme politique en ligne. Son trafic mensuel est passé de 30 millions d’utilisateurs en mars 2016 à 81 millions en décembre 2017, selon les données des sites spécialisés Alexa et SimilarWeb. »
— AFP, Reuters sur France Télévisions
En 2017, Steve Bannon enchaînait les interviews avec les médias français pour soutenir Marine Le Pen. Il promouvait The Movement, sa fondation destinée à rassembler les partis nationalistes et populistes européens et était l’invité vedette du congrès du Front national [19].
Si une version française annoncée de Breitbart News semble pour l’instant n’avoir été qu’un coup de communication orchestré avant les présidentielles de 2017, l’extrême droite française n’a pas attendu Steve Bannon pour lancer « la bataille du net », investir la toile et les réseaux sociaux.
« Cela fait désormais vingt ans que l’extrême droite a fait son entrée dans le grand monde d’Internet. (…) Depuis lors, les sites d’extrême droite, de toutes les mouvances, se sont multipliés, jusqu’à devenir une entité que l’on nomme “la fachosphère”. »
— Alexandre Foatelli, Fachosphère : l’extrême droite envahit le net, La revue des médias, INA, 4 mars 2019
Fdesouche, Altermedia, Boulevard Voltaire ou l’Observatoire des journalistes et de l’information médiatique, aux côtés de TV Libertés, d’Alain Soral, du Raptor Dissident, de Daniel Conversano, Yann Merkado, ou encore de Papacito et autres « influenceurs » de l’ultra droite tels que Vincent Reynouard, Hervé Ryssen ou Boris Le Lay, actifs sur des blogs et des sites de « réinformation » ou sur YouTube, TikTok, Twitter, Instagram, Twitch, Facebook… voient depuis plusieurs années leurs articles, « posts » et vidéos largement diffusés et relayés sur les réseaux sociaux, les forums (jeuxvideo.com) et applications de discussion (Whatsapp, Telegram, Discord).
« L’un des aspects marquants lorsque l’on étudie de près la fachosphère, c’est la diversité de ce mouvement, contrairement à ce que suggère le fait de réunir toutes les mouvances d’extrême droite actives sur Internet sous ce terme (…) L’autre aspect remarquable de cette fachosphère, c’est la propension à investir tous les champs du web : des sites d’information aux chaînes YouTube, en passant par les web TV et la pornographie amateur. »
— Alexandre Foatelli
Une diversité de « la fachosphère [20] » –dont on peut donc noter les nombreuses ressemblances avec l’« Alt-right » américaine– qui inscrit de plus en plus sa visibilité dans le paysage français (médias et réseaux sociaux), et dont les thématiques ont aussi été mises en avant sur la scène politique par la droite parlementaire, au FN-RN, mais aussi à l’UMP (aujourd’hui Les Républicains).
Concernant cette dernière formation politique, c’est notamment sous la férule de Patrick Buisson, dont L’Express rappelait qu’il est passé par Minute et Valeurs Actuelles avant de devenir un proche conseiller de Nicolas Sarkozy, que cette orientation très droitière du sarkozisme [21] se mit en place.
Recyclant les thématiques de l’extrême droite dans un discours « pas outrancier, mais décomplexé », il renforcera l’installation de ces dernières au coeur du débat public, au milieu des années 2000. Alors qu’il prônait un rassemblement des droites allant jusqu’au Front National, Buisson aura orchestré une stratégie politique augmentant la confusion des discours de l’extrême droite et de la droite qui se revendique malgré tout encore —par opposition à la première— « républicaine ».
« Fachosphère » et droite parlementaire (extrême et donc « républicaine ») semblent toutes deux se nourrir des idées diffusées dès la fin des années 60 par la Nouvelle Droite, dans la volonté affichée de reconquérir l’« hégémonie culturelle » alors qu’étaient mises au ban les idéologies racistes et progressivement ringardisées les vulgates antiféministe, autoritaire et conservatrice.
Une « Nouvelle Alt-droite » à la française ?
La victoire stratégique dans les médias et sur les réseaux sociaux de la « fachosphère » française –du RN, mais aussi donc de Patrick Buisson, des médias et « influenceurs » de l’ultra droite…–, dont résulte l’orientation du débat public en France autour des thématiques de l’extrême droite est aussi une victoire des idées promues depuis plus de cinquante ans par Alain de Benoist, l’un des fondateurs de la Nouvelle Droite :
« L’étude objective de l’Histoire montre que seule la race européenne (race blanche, caucasoïde) a continué à progresser depuis son apparition sur la voie montante de l’évolution du vivant, au contraire de races stagnantes dans leur développement, donc en régression virtuelle. La cause principale de la progression de la race européenne réside dans le fait qu’elle a atteint au progrès des facteurs cumulables, sciences et techniques, dont l’enchainement forme la civilisation occidentale. La race européenne n’a pas de supériorité absolue. Elle est seulement la plus apte à progresser dans le sens de l’évolution. Les facteurs raciaux étant statistiquement héréditaires, chaque race possède sa psychologie propre. Toute psychologie est génératrice de valeurs. »
— Extrait cité par Pierre-André Taguieff [22] de Qu’est-ce que le nationalisme ? (mars 1966, p. 8-9), fascicule de « méthode doctrinale » dont Alain de Benoist est le principal rédacteur.
En 1993, la revue d’histoire Vingtième Siècle revenait sur « le phénomène » de la Nouvelle Droite, dont elle rappelait déjà à juste titre qu’« on aurait tort de minimiser l’importance dans l’évolution actuelle du paysage intellectuel et politique de la France ».
Pierre-André Taguieff y rappelait que l’expression Nouvelle Droite « a été utilisée, dans le langage médiatique, à partir de 1978, pour désigner le GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), puis, par extension, pour référer, dès 1979, à l’ensemble formé par le GRECE et le Club de l’Horloge ». On pouvait alors selon lui situer la production intellectuelle de ces deux « clubs (ou sociétés) de pensée à l’intersection des droites parlementaires UDF/RPR et des mouvements situés à l’extrême droite ».
Selon le directeur de recherche au CNRS, la création du GRECE constitue « une réponse aux interrogations inquiètes de certains militants nationalistes par une suite d’échecs : dissolution du mouvement Jeune Nation en mai 1958, démantèlement de l’OAS, candidature malheureuse de Jean-Louis Tixier-Vignancour à l’élection présidentielle de décembre 1965, déroute électorale du Rassemblement européen de la liberté (REL) [23] aux législatives de mars 1967 » tout autant qu’une réaction aux transformations sociales et sociétales ayant permis Mai 68 : « la première réunion centrale du groupe fondateur se déroule à Lyon les 4 et 5 mai 1968 ».
« Le REL avait été crée, en novembre 1966, par le Mouvement nationaliste du progrès (MNP), lancé en janvier 1966 (Congrès constitutif : 30 avril — 1er mai 1966) par les principaux dirigeants de la fédération de courants nationalistes que représentait le mensuel Europe-Action (Dominique Venner, Jean Mabire, Pierre Bousquet, etc.), renforcés notamment par les jeunes de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN, créée en mai 1960) qui publiaient les Cahiers universitaires (janvier 1962- 1967) – Georges Schmelz, Francois d’Orcival (pseudonyme d’Amaury de Chaunac-Lanzac), Fabrice Laroche-Alain de Benoist. »
— Pierre-André Taguieff
C’est à la suite de l’échec et de la dissolution du Rassemblement européen de la liberté qu’une partie de l’extrême droite française met en place une nouvelle stratégie « métapolitique » et « contre-léniniste », faisant le constat qu’il n’y a pas de révolution « sans la double construction d’une organisation et d’une doctrine ».
En 1968-1969 s’opère ainsi une « rupture avec la conception maurrassienne du nationalisme intégral » et un « tournant idéologique et stratégique » de ce qui va devenir la pensée de la Nouvelle Droite, cette dernière comprenant que « la ségrégation peut être légitimée autant par la différence culturelle que par l’inégalité raciale ». Autour d’un « néonationalisme “européen” » sont désormais mises en avant la provenance commune des “populations indo-européennes” et une supposée communauté identitaire et de “culture” plutôt que la défense de la “race blanche”.
LA NOUVELLE DROITE ET LES INTELLECTUELS « DE GAUCHE »*
La « bataille culturelle » menée par la Nouvelle Droite visait également à annexer au conservatisme des idées de gauche. Dans sa volonté de reconquête des milieux intellectuels et dans une approche dénoncée parfois comme « confusionniste », la Nouvelle Droite ouvre ainsi très tôt ses revues (Nouvelle École, Éléments, Krisis) à des intellectuels présentés comme « plutôt classés à gauche ».
Après Michel Maffesoli (revue Sociétés), Michel Onfray (?), Jacques Julliard (CFDT, Nouvels Obs puis Marianne), Antoine Compagnon (Collège de France), Bernard Langlois (Politis, ATTAC), Pierre Manent (EHESS) ou Jacques Sapir (EHESS), Serge Latouche (décroissance), Thibault Damour (IHES)… En 2017, Marcel Gauchet en couverture d’Éléments fit « grincer quelques dents » à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS).
S’appropriant Gramsci, la Nouvelle Droite entend mener la « guerre culturelle » contre le marxisme et l’« économisme libéral [24] », « d’abord en pénétrant les milieux médiatiques et universitaires afin d’y implanter une “contre-culture” de droite » :
« L’idée d’une stratégie “métapolitique” est introduite dès la première année d’existence officielle du GRECE, dont le premier séminaire national (Lyon, 11-12 novembre 1968) portait sur la question : “Qu’est- ce que la métapolitique ?”.
— Pierre-André Taguieff. [Robert de Herte est, avec Fabrice Laroche, l’un des pseudonymes d’Alain de Benoits, ndr]
À partir de 1973-1974, Alain de Benoist a donné un contenu plus précis à la stratégie “métapolitique” en la présentant comme un “gramscisme de droite”. Gramsci est lu comme un “théoricien du pouvoir culturel” (Vu de droite, Paris, Copernic, 1977, p. 456), et le retournement antigauche de sa stratégie ainsi théorisée : “Le GRECE a entrepris une action métapolitique sur la société. Une action consistant a répondre au “pouvoir culturel” sur son propre terrain : par un contre-pouvoir culturel”, (R. de Herte, “La révolution conservatrice”, Éléments, n°20, février-avril 1977, p. 3). »
Pierre-André Taguieff a été l’un des premiers universitaires français à s’intéresser aux intellectuels de la Nouvelle Droite et à identifier leur stratégie de mutation discursive du « racisme biologique » vers le « séparatisme culturel ».
En 1988, dans La force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, il analysait les ressorts de ce nouveau « racisme différentialiste », ses travaux venant conforter certaines recherches que l’on pourrait qualifier de « décoloniales » et qu’il dénonce avec véhémence [25] aujourd’hui.
Il est par ailleurs l’un des premiers utilisateurs du terme « islamo-gauchisme [26] » en France, ainsi que le signataire d’une tribune dénonçant notamment « les universitaires et les activistes décoloniaux » ayant mis en cause [27] les propos de la ministre Frédérique Vidal et les « positions pro-islamistes et pseudo-antiracistes » de ces derniers, qui selon lui « laissent percer un racisme anti-blanc ». Il figure parmi les signataires du « Manifeste des 100, Tribune d’universitaires et de chercheurs contre l’islamisme et l’islamogauchisme à l’université » et de l’ « Appel de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires ».
« Contre la culture de masse, contre les droits de l’homme, contre 68, contre le féminisme, contre l’antiracisme, contre l’islam… Les nouveaux réactionnaires, grands artificiers de cette levée générale des tabous, déploient leur offensive sur deux fronts – les deux pôles de la culture politique française qui prônent une “société ouverte” : la gauche égalitaire et la droite libérale. »
— Présentation du livre « Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires » de Daniel Lindenberg (Seuil, 2002)
À la suite de la publication du livre de Daniel Lindenberg était questionnée par Christopher Flood [28] l’appartenance de Marcel Gauchet et de Pierre-André Taguieff aux « nouveaux réactionnaires », groupe qui selon Lindenberg incluait une série d’écrivains (Michel Houellebecq, Philippe Muray…) et d’intellectuels (Nicolas Baverez, Pierre Manent, Luc Ferry, Jean-Claude Milner, Alain Finkielkraut…).
La dénonciation de ces « nouveaux réactionnaires », dont Daniel Lindenberg jugeait les idées conservatrices, voire racistes et sexistes, entraina une vive polémique durant les derniers mois de 2002 dans le contexte social et politique né du choc qu’aura constitué l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle française.
Vingt ans plus tard, la qualification au second tour des présidentielles de sa fille Marine est partout présentée comme inéluctable [29].
La « contre-révolution » de la « Nouvelle Alt-droite » ?
En avril 2021, Guillaume Peltier [30], vice-président délégué des Républicains et député du Loir-et-Cher, appelait sur Europe 1 [31] les Français « à la contre-révolution » et à « se remettre debout ».
« Se remettre debout » — Le constat du « déclin » français dont s’alarmait Baverez au début des années 2000 [32] –du « désarroi » écrivait alors Alain Duhamel– ou de la « déchéance » et du « délitement » de la société française, comme les nomment aujourd’hui dans leurs tribunes les militaires de Valeurs Actuelles, est à en croire les médias –sondages à l’appui– établi en France par toutes et tous.
Cependant si ces « déclinologues » s’entendent sur un même constat, ils ne s’alarment pas tous de la même “déchéance” : elle concernerait ainsi, c’est selon, la France, l’Europe, l’Occident, la “race blanche” voire « la culture » ou même « la civilisation ».
La Nouvelle Droite « ethnodifférentialiste » en appelle au sursaut de « l’Occident » et à la préservation de la « civilisation européenne », l’extrême droite de tradition “maurrassienne”, nationale-catholique, s’alarme du déclin de la France et de la « civilisation chrétienne » . Toutes les deux s’inquiètent de l’ostracisation des “Blancs” (et plus particulièrement des « mâles “Blancs” [33] de plus de cinquante ans ») et, vieille tradition à l’extrême droite, du « Grand remplacement [34] » en cours. Ces différents courants de l’extrême droite partagent avec les animateurs de la « fachosphère » un rejet de l’immigration, et principalement de l’immigration extraeuropéenne et/ou musulmane et de ceux qu’ils qualifient –ils sont donc depuis peu repris par des membres du gouvernement– d’« islamo-gauchistes », soit une partie de la gauche qui ne fait pas « du problème musulman » ou « du problème de l’immigration » une priorité politique ni un thème de propagande électorale.
LA « NOUVELLE ALT-DROITE FRANÇAISE »
La « Nouvelle Alt-droite française » serait le regroupement de la Nouvelle Droite, des « identitaires » et de l’« ancienne » droite nationaliste, des « nouveaux réactionnaires » et autres « déclinologues » conservateurs, de l’extrême droite politique, d’une partie de la droite « républicaine » et de la « gauche d’extrême droite », des figures ou des anonymes –trolls– de la « fachosphère », des néonazis, pétainistes, catholiques intégristes, “suprémacistes blancs”, complotistes antisémites, groupes « survivalistes » et autres groupuscules d’ultra-droite…
Comme l’« Atl-right » américaine, la « Nouvelle Alt-droite française » s’appuie sur des références racistes relativement classiques auxquelles s’ajoutent le « racisme culturaliste » décrit par Taguieff venu renforcer idéologiquement les éthonationalismes qui sont au coeur des stratégies politiques de ceux qui alimentent, sur tous les continents, les divisions et les oppositions “raciales”, ethniques, culturelles et religieuses, encourageant ainsi les conflits d’aujourd’hui et de demain.
Cet ensemble disparate, nommons-le « la Nouvelle Alt-droite française », mène donc depuis plusieurs années la « contre-révolution » que le vice-président des Républicains, transfuge du Front National, appelle aujourd’hui tous les Français à rejoindre.
L’appel des Français « à la contre-révolution » — La désignation de l’ennemi est toujours au coeur de la guerre –qu’elle soit « culturelle », chez Antonio Gramsci ou Alain De Benoist, ou « totale » chez Erich Ludendorff et Carl Schmitt [35]. Désignant plus ou moins ouvertement [36] un « problème musulman [37] » une part grandissante du discours médiatique et politique s’inscrit dans cette « contre-révolution » culturelle que prône Guillaume Peltier, cette stratégie et lutte « métapolitique » à laquelle travaillent donc la droite et l’extrême droite française depuis la fin des années 60 et qu’elles semblent aujourd’hui être sur le point de remporter.
« Musulmans » auxquels il faut ajouter les « décoloniaux » et autres « islamo-compatibles » pour reprendre le titre du livre de la journaliste d’Europe 1 et CNews Sonia Mabrouk (elle ajoute aussi les « écologistes radicaux ») et qui sont ainsi décrits comme les nouvelles « véritables menaces » de la société française, voire les nouveaux ennemis intérieurs.
Acteurs et actrices de ce qui est présenté comme une sorte de révolution [38] « indigéniste » et « islamo-gauchiste » ayant pour dessein d’imposer la « haine des “Blancs” », ces « militants » pousseraient la « haine de la France » jusqu’à en rejeter les figures –et statues…– mises à l’honneur par la République dès lors qu’elles auraient participé à la traite esclavagiste, encouragé la colonisation et montré quelques sympathies avec l’antisémitisme, le racisme, les discriminations ethniques, sexuelles, religieuses et autres joyeusetés dont l’histoire aura montré qu’elles auront partout et plutôt, jusque-là, été promues que combattues. La « guerre culturelle » est aussi une guerre des mémoires.
Bernard Harcourt, analysant l’Amérique [39] post-Trump, présentait l’invasion du Capitole comme le « paroxysme d’une contre-révolution qui n’a cessé de s’intensifier », ajoutant qu’« une contre-révolution sans révolution à contrer est l’étape ultime de la contre-révolution ». Peut être pas de révolution « indigéniste » ou « décoloniale » à contrer en France, mais assurément une contre-révolution conservatrice en cours se réclamant « de la suprématie blanche, de la xénophobie et de l’État policier » [40].
Contre révolution conservatrice appuyée par l’« Alt-right » qui aura, selon David Chavalarias, favorisé « les mandatures de Donald Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil ». Aidée par la stratégie gouvernementale [voir encadré en fin de page], la Nouvelle Alt-droite semble pouvoir faire parvenir en France celle de Marine Le Pen (ou d’Eric Zemmour ?) après avoir contribué à « souder » ce que Frédéric Lordon nomme –avec provocation ou lucidité ?– « le bloc fasciste » : « extrême droite (RN), droite extrême (LREM, LR), gauche de droite (et de plus en plus à droite : PS, EELV), gauche d’extrême droite (Valls, Printemps républicain) ».
La « contre-révolution », c’est une guerre qui n’est pas que culturelle — « C’est aussi une guerre civile » annonçait dès 1973 la Nouvelle Droite. Et c’est encore le nom de la guerre « contre-révolutionnaire » (aussi appelée « révolutionnaire » ou encore « guerre moderne »). Aux États-Unis et pour reprendre les mots de Bernard Harcourt, « le gouvernement par la guerre moderne s’est généralisé à travers la diabolisation des musulmans, des immigrés, du mouvement Black Lives Matter, et de quiconque résisterait aux nouvelles conditions politiques, provoquant vague après vague de pratiques contre-insurrectionnelles ».
« Nous sommes entrés dans la guerre culturelle. Les nations et les peuples de l’Europe se trouvent menacés d’anéantissement par une agression invisible, qui touche à leur constitution mentale…
— Revue Éléments n°31, août 1973, p.3 (cité par Pierre-André Taguieff).
C’est aussi une guerre civile. »
Dans les deux tribunes d’extrême droite signées par des militaires et publiées par Valeurs Actuelles est annoncée une « guerre civile » en France. Jouant lui aussi « au pronostic », Frédéric Lordon [41], comme beaucoup d’autres, n’est pas moins pessimiste : « Si c’est Le Pen, ce sera la guerre civile ; si c’est Macron, une insurrection » et ensuite Le Pen, « avec retour à l’hypothèse n°1 », soit la guerre civile… :
« Si c’est Le Pen, nous aurons un racisme d’État, ouvert, affiché : non plus seulement systémique, comme il l’est déjà, mais institutionnel, comprendre : explicitement formalisé dans des textes, nommément dirigés contre les musulmans (une pente que le macronisme a déjà commencé d’emprunter). (…)
— Frédéric Lordon, « Fury room », Le Monde Diplomatique, 22 mai 2021
Si c’est Macron, nous suivrons une trajectoire semblable, mais au ralenti (…) qui ouvre la possibilité d’un événement insurrectionnel, mais d’une insurrection “boueuse” en effet, car, à côté des forces qui se sont déjà manifestées avec les “gilets jaunes”, et que pourraient rejoindre de nombreux secteurs progressistes de la société, jeunesse en lutte, salariés révoltés, précarisés de toutes natures, on trouvera du séditieux à la Zemmour-De Villiers, du général signataire de tribunes, du policier d’extrême droite putschiste, et du bloc identitaire reconstitué. Autant dire qu’elle aura une gueule contrastée l’“insurrection”. »
La désignation d’un « ennemi intérieur » que nous évoquions plus haut est l’une des premières étapes du processus contre-insurrectionnel et de la « guerre révolutionnaire ». La guerre civile en est une autre, désignant alors la lutte armée qui oppose au sein d’un État les forces de sécurité à d’autres groupes, eux aussi armés – ou des groupes armés d’un même État entre eux…
Dans les deux éventualités présentées par Lordon, et quoi qu’on en pense, quel que soit le résultat des prochaines élections présidentielles, l’appareil d’État et de sécurité –police et armée, dont les membres sont majoritairement des électeurs de l’extrême droite– seront dirigés, certes plus ou moins explicitement, contre les musulmans, mais assez semblablement contre les « habitants des quartiers », les militants antiracistes (« décoloniaux »), environnementaux (« écologistes radicaux »), les « islamo-gauchistes », les mouvements sociaux et « quiconque résisterait aux nouvelles conditions politiques ».
À priori il n’y a aucune raison qu’ils ne se laissent faire sans résister… et il ne semble pas impossible que l’extrême droite réprime avec encore plus de violences que la macronie les mouvements sociaux (mobilisations contre la loi « sécurité globale », pour les retraites, et avant, pour le climat ou contre la Loi travail…) et les révoltes populaires (« Gilets jaunes » et révolte des quartiers). Dans tous les cas seront assurément renforcées méthodes et « pratiques contre-insurrectionnelles » mises en œuvre par l’État contre la population : militarisation du « maintien de l’ordre », guerre de l’information, surveillance et fichage…
La participation, le 19 mai dernier, d’une partie des figures de la « gauche » (EELV, PS, PC) à la manifestation des policiers dénonçant l’institution judiciaire (« Le problème de la police, c’est la justice ! ») devant le Parlement a certainement été, comme l’analyse Lordon, un moment important de clarification politique à gauche. Tout comme le récent appel de la « gauche » qu’il qualifie « d’extrême droite » (Manuel Valls, Jean-Paul Huchon) à faire barrage à la gauche et aux écologistes au second tour des régionales en Ile-de-France. Néanmoins son appel, « communisme ou guerre civile [42] » –faisant écho au « socialisme ou barbarie [43] » de Castoriadis et Lefort – semble avoir, il en est à priori pleinement conscient, très peu de chances d’être entendu.
La France se dirige-t-elle vers cette guerre civile à laquelle se –et nous– prépare la Nouvelle Droite depuis les années 70 ? C’est ce que semble promettre le récit partout annoncé à un an des élections mais on ne sait en réalité si l’affiche du second tour sera finalement Macron contre (ou faudrait-il dire avec ?) Le Pen/Zemmour. Qui sait ?
Dans tous les cas, la prochaine mandature française s’inscrira, au moins à la mesure du quinquennat précédent, dans un contexte idéologique semblant indiquer la victoire de la « guerre culturelle » de cette Nouvelle Alt-droite française.
Et un renforcement de la « guerre moderne » menée par l’État contre une partie de sa population.
Éléments et l’ « ethnodifférentialisme »
Concernant la couverture d’Éléments de 2017 avec Marcel Gauchet [voir encadré La Nouvelle Droite et les intellectuels de « gauche »], Tomas Statius, sur Streetpress, ajoute que « le très respecté philosophe succède en couv’ du magazine à Patrick Buisson et précède un encart pour le… spécial “Maurras” de la revue Nouvelle École ».
Plus d’informations sur « le retour en force » de la revue Éléments :
— Simon Blin, « Eléments, la revue du confusionnisme », Libération, 17 octobre 2019 : « le magazine lancé en 1973 par Alain de Benoist pour promouvoir les idées de la nouvelle droite s’est fait une spécialité du double langage, conviant dans ses colonnes aussi bien des figures identitaires que des universitaires classés à gauche. »
— Catherine Golliau, « Pourquoi l’extrême droite ouvre ses revues aux penseurs de gauche », Le Point, 23 février 2018.
— Yvon Quiniou, « Eléments : le retour en force d’une revue réactionnaire », Le blog de Yvon Quiniou, Mediapart, 6 juin 2016.
Marcel Gauchet, Hubert Védrine… — Il est moins anodin qu’il n’y paraît qu’Hubert Védrine consacre un entretien à la revue en mai dernier (Éléments, n°190, juin-juillet 2021). Le « gardien de l’inavouable [44] » de la mitterrandie, secrétaire général de l’Élysée de 1991 à 1995, soit pendant que se préparait puis se déroulait le génocide contre les Tutsi au Rwanda sous coopération –voire supervision [45]– française, est un adepte des théories « ethnodifférencialistes » promues par la Nouvelle Droite et un « héritier » du fascisme français.
« Un fils ne saurait être rendu responsable des actes de son père, mais il paraît incontestable qu’Hubert Védrine a bénéficié, pour rentrer à l’Élysée en 1981, des relations de son père avec François Mitterrand, nouées à Vichy et poursuivies sous la IVe République » rappellent Jacques Morel et Georges Kapler.
Jean Védrine, son père donc, selon les archives de la Préfecture de police (PJ52, CSAR), faisait partie de La Cagoule, aussi appelée « Comité secret d’action révolutionnaire », organisation anticommuniste créée par Eugène Deloncle et qui commit des assassinats et tenta des putschs en France (comme celui du 16 novembre 1937) rappellent Jacques Morel et Georges Kapler [46] , précisant que « le MSR de Deloncle fit sauter des synagogues sous l’Occupation ». Michel Sitbon, dans La mémoire N, explique que « sans la racine synarchiste, archi-liée au Vatican et à son Opus dei, on ne peut pas comprendre la politique génocidaire de Mitterrand au Rwanda ».
Sans plus ici s’attarder sur ce qui mériterait un très large développement rappelons que pendant que les troupes génocidaires rwandaises, alliées aux forces françaises qui ont participé à leur exfiltration et leur réarmement au Congo voisin, tentaient, après le génocide, de reprendre militairement une partie du Rwanda, Hubert Védrine proposait « audacieusement » dans L’Express une partition du pays, selon une base ethnique.
Quand la stratégie politique gouvernementale s’inscrit dans « la lutte idéologique » de l’extrême droite
David Chavalarias (CNRS) rappelait en février sur Politoscope.org [47] que si l’expression « islamo-gauchisme » était jusque récemment très marginalement utilisée, elle apparaissait dans des contextes politiques précis « en tant qu’instrument de lutte idéologique ».
Il signale que les ministres du gouvernement ont ainsi « réussi à faire en quatre mois ce que l’extrême droite a peiné à faire en plus de quatre années » : populariser dans le débat ce néologisme, jusque-là réservé à l’extrême droite, dont le gouvernement semble partager les objectifs, « discréditer les opposants de gauche [48] » et « convaincre l’opinion publique de l’existence d’une nouvelle catégorie d’acteurs : des ennemis intérieurs alliés aux forces obscures de l’islamisme radical ».
Il est néanmoins difficile de discerner si la popularisation de ce néologisme et la désignation de ce nouvel ennemi par la majorité présidentielle relèvent uniquement de la stratégie électorale ou s’il s’agit d’un recadrage politique de la macronie, désormais assumé, autour des thématiques de l’extrême droite.
Pour Chavalarias, la popularisation du terme profiterait avant tout à l’alt-right française dans sa stratégie de « [création] d’une nouvelle catégorie dans l’imaginaire collectif, passage obligé pour faire accepter de nouveaux récits de référence et pour façonner de manière durable de nouvelles représentations, croyances et valeurs ».
Le directeur de recherche considère qu’il existe un « parallèle quasi parfait entre la stratégie de l’alt-right américaine et celle qui sous-tend la promotion de la notion d’islamo-gauchisme depuis 2016 » :
L’objectif — « connu et documenté par la recherche en psychologie sociale, sociologie et sciences politiques » — est de rendre crédible la présence « d’un ennemi de l’intérieur qui pilote nos élites et fait alliance avec des ennemis de l’extérieur (non-blancs) ».
Cette mise en cause d’« ennemis intérieurs », de « traîtres aux valeurs françaises et alliés d’un ennemi sanguinaire [49] » comme l’indique Chavalarias, est cependant tout sauf anodine, en plus d’être politiquement très risquée, et de créer ou d’attiser « les divisions » et « les haines » que l’extrême droite et donc aussi le gouvernement reprochent, selon la technique de l’« accusation en miroir », aux mouvements luttant contre les discriminations — racistes, sexistes, homophobes …— de favoriser.
L’« ACCUSATION EN MIROIR »
Dans la « guerre culturelle », on semble avoir atteint un nouveau stade quand c’est l’extrême droite qui accuse de racisme des associations et des personnalités publiques luttant contre les discriminations, accusées de véhiculer un « racisme anti “Blanc” ». Illustrant cette stratégie, alors qu’en mars dernier l’UNEF est au coeur d’une polémique orchestrée par la droite et l’extrême droite en raison de l’organisation de groupes de parole « non-mixtes » réunissant des victimes de discrimination, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National (RN), accuse le syndicat étudiant de « racisme », appelant même à des poursuites judiciaires. Jordan Bardella, vice-président du RN invité sur BFMTV-RMC le 11 juin 2020 annonçait ainsi que « ceux qui se prétendent antiracistes sont les réels racistes aujourd’hui ».
David Chavalarias prédit ainsi que la reprise du terme d’« islamo-gauchisme » par plusieurs membres du gouvernement, qu’il qualifie de « porte ouverte à l’alt-right », est un « piège de l’Alt-right [qui] se referme sur la Macronie ».
Et sur la France.
Article publié sur le site du magazine Guerre Moderne
Illustration : Frédérique Vidal (ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur) lors de l’interview de Jean-Pierre Elkabbach sur CNews, 14 février 2021, durant laquelle la ministre annonce annonce vouloir demander une enquête au CNRS sur l’islamo-gauchisme à l’université.
Notes
[1] Nicolas Demorand, Léa Salamé, « Gérald Darmanin : “La religion n’est pas l’ennemie de la République, les expressions religieuses non plus” », L’invité de 8h20 : le grand entretien, France Inter, 1 février 2021.
[2] De nombreuses autres tribunes d’universitaires ont été publiées ces derniers mois sur différents médias. Ajoutons pour exemple « Nous voulons exprimer ici notre solidarité avec les universitaires français », signée par Angela Davis, Gayatri Spivak, Achille Mbembe…, sur L’Obs (17 mars 2021) et la réponse apportée par Pierre-André Taguieff « Réponse à une tribune islamo-décoloniale d’universitaires en forme d’aveu », publiée sur Marianne (19 mars 2021).
[3] Le Manifeste des 100, « Tribune d’universitaires et de chercheurs contre l’islamisme et l’islamogauchisme à l’université » est publié le 1 novembre 2020. Avant ce manifeste, un « Appel de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires », signé par 76 universitaires, était publié sur le site du Point, le 13 janvier 2021. Le Point consacre un dossier à la question.
[4] Capucine Boidin, Études décoloniales et postcoloniales dans les débats français, Cahiers des Amériques latines, 62 | 2009, 129-140.
[5] Emmanuel Levine, Une histoire de la “pensée décoloniale”, épisode 2/5 : des combats communs aux conflits internes, Philosophie magazine, 5 mars 2021.
[6] Frédéric Lemaire, Maxime Friot, Pauline Perrenot, « Islamo-gauchistes » : une chasse aux sorcières médiatique, Acrimed, 30 octobre 2020 et Frédéric Lemaire, Pauline Perrenot, Après les attentats, tapis rouge pour l’extrême droite sur les chaînes d’info, Acrimed, 16 novembre 2020. Voir également Samuel Gontier, Après le meurtre de Samuel Paty, le concours Lépine des idées d’extrême droite, 20 octobre 2020.
[7] La transformation des médias par les actionnaires –Drahi, Bouygues, Pinault, Safa, Mougeotte, Villeneuve, Křetínský… pour n’en citer que quelques-uns, poursuit des préoccupations financières et d’audiences mais aussi idéologiques. Le cas de Bolloré est de ce point de vue emblématique : il aura imposé Eric Zemmour et la dérive ultra-droitière de CNews. Alors qu’Europe 1 est depuis le 22 juin en grève suite à l’annonce d’un accord de partenariat entre la radio et la chaîne, Mediapart rappelle que Bolloré est maintenant à la tête d’un « immense empire de presse, sorte de Fox News à la française, diffusant en boucle les idées rances, xénophobes ou ouvertement racistes de l’extrême droite ».
[8] Pauline Perrenot, Chaînes d’info : l’extrême droite en croisière, Acrimed, 6 octobre 2020.
[9] Richard Sénéjoux, « CNews condamnée à 200 000 euros d’amende pour des propos d’Éric Zemmour », Telerama, 18 mars 2021.
[10] Abdellali Hajjat, L’emprise de Valeurs Actuelles, Carnet de recherche Racismes, 13/11/2020.
[11] Sur les origines du fascisme français : Michel Sitbon, « La mémoire N » (Aviso, 2014) étude de la Synarchie et de « la Cagoule », de la naissance du fascisme français qui « inspirera les théoriciens politiques conservateurs, animés désormais de la volonté d’absorber le socialisme pour mieux contrôler les soubresauts révolutionnaires qui agitent alors la société depuis plus d’un siècle ».
[12] Janie Gosselin, De l’« alt-right » à l’extrême droite tout court, La Presse, 24 octobre 2020.
[13] Cité par Chava Gourarie, « How the ‘alt-right’ checkmated the media », Columbia Journalism Review, 30 août 2016.
[14] William Audureau, « Etats-Unis : derrière l’“alt-right”, cinq grandes mouvances qui convergent », Le Monde, 24 août 2017.
[15] membre du laboratoire de recherche Alt-Right Open Intelligence Initiative.
[16] Alice Marwick, Rebecca Lewis, « Media manipulation and disinformation online », datasociety.net, Data & Society Research Institute, New York, 2017/5/15.
[17] En France, dès les années 2010 pour le Bloc Identitaire et depuis plus largement dans l’extrême droite est évoquée la « remigration » ou « réémigration », à savoir le retour des immigrés et descendants d’immigrés –Wikipedia ajoute « non européens »– dans leur pays d’origine, des dispositifs d’« aide au retour » du type de l’Arrêté du 27 avril 2018 relatif à l’aide au retour et à la réinsertion semblant parfois envisagés. Notons que la « remigration » est aussi un élément d’analyse et de recherche sur la « circulation migratoire » et les parcours des immigrés : « beaucoup d’entre eux repartent du pays d’accueil vers leur pays d’origine ou un pays tiers. Ces mouvements, qualifiés de “remigrations”, semblent loin d’être négligeables. Selon les pays de l’OCDE et les périodes, 20% à 50% des immigrés quitteraient le pays d’accueil au cours des cinq années suivant leur arrivée » indique Louise Caron (Revue Population de l’Institut national d’études démographiques, 2018/3, Vol. 73, pages 503 à 542).
[18] Si Breitbart est « au centre de ce nouvel écosystème » de l’« Alt-right » américaine, Marwick et Lewis rappellent qu’il faut aussi mentionner, avec Fox News, « The Daily Caller, The Gateway Pundit, The Washington Examiner, Infowars, Conservative Tree-house et Truthfeed » même si « certains d’entre eux peuvent être classés dans la catégorie “alt-light” – des médias qui reprennent certains points de discussion de l’extrême droite tout en excluant stratégiquement les croyances plus extrêmes. » (cf. Alice Marwick, Rebecca Lewis, « Media manipulation and disinformation online », datasociety.net, Data & Society Research Institute, New York, 2017/5/15).
id=”nb4-19″[19] France info avec AFP, « Steve Bannon, l’ancien conseiller déchu de Trump, invité surprise du congrès du FN », France info, 9 mars 2018.
[20] Alexandre Foatelli désigne par ce terme de « fachosphère » le regroupement de « tendances très diverses : catholiques intégristes, néonazis, nationalistes anticapitalistes, islamophobes, antisémites ou encore complotistes ».
[21] Avant d’être président de la République (du 16 mai 2007 au 15 mai 2012), Nicolas Sarkozy est Ministre de l’Intérieur du 7 mai 2002 au 30 mars 2004 puis, de nouveau, du 2 juin 2005 au 26 mars 2007.
[22] Pierre-André Taguieff, « Origines et métamorphoses de la Nouvelle Droite », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n°40 (Oct.-Dec., 1993), pp.3-22. Sauf mention contraire les citations de Pierre-André Taguieff sont issues de cet article.
[23] « Les listes REL totalisèrent en moyenne 2,58 % des suffrages exprimés, avec des pointes à 3,8 % dans la quatrième circonscription des Bouches-du-Rhône (Marseille) et 4,4 % dans la deuxième circonscription de la Moselle (Metz) » selon Wikipedia, qui ajoute : « Héritier des idées d’Europe-Action, le REL professe également un nationalisme européen préfigurant celui qui sera développé ultérieurement par le GRECE ».
[24] Selon Taguieff, plus que le marxisme, l’« économisme libéral » y devient « l’ennemi principal », considéré comme la « forme moderne dominante de l’égalitarisme et du cosmopolitisme “judéo-chrétien” ».
[25] Pierre-André Taguieff « Réponse à une tribune islamo-décoloniale d’universitaires en forme d’aveu », Marianne, 19 mars 2021. Taguieff est notamment l’auteur de « L’Imposture décoloniale. Science imaginaire et pseudo-antiracisme » (éditions de l’Observatoire, 2020) et « Liaisons dangereuses : islamo-nazisme, islamo-gauchisme » (Hermann, 2021).
[26] Pierre-André Taguieff, « Tribune : Aux sources de l’“islamo-gauchisme” », Libération, 26 octobre 2020. Taguieff indique désigner en 2002 par « mouvance islamo-gauchiste », de façon « descriptive », « une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche, au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle cause universelle ».
[27] Les signataires de cette tribune —Angela Davis, Gayatri Spivak, Achille Mbembe, Shailja Patel— rappellent que « le terme relativement nouveau d’“islamo-gauchisme“ reflète une convergence beaucoup plus ancienne d’idéologies de droite, coloniales et racistes opposées aux luttes anticoloniales, anti-islamophobes et antiracistes. »
[28] Christopher Flood, « Marcel Gauchet, Pierre-André Taguieff and the question of democracy in France », Journal of European Studies, Volume 37 Issue 3, September 2007, pp. 255–275.
[29] Les résultats du premier tour des élections régionales et départementales françaises du dimanche 21 juin semblent néanmoins indiquer une sur-évaluation du score du Rassemblement National par les instituts de sondage et les médias tout autant qu’un désintérêt des citoyens (plus de 65 % d’abstention) pour les élections.
[30] « Après un passage au Front national de la jeunesse et au Mouvement national républicain, il adhère en 2001 au Mouvement pour la France, et en 2009 à l’Union pour un mouvement populaire – devenue par la suite Les Républicains. » Wikipedia ajoute que Guillaume Peltier « est actuellement député, conseiller régional et vice-président des Républicains. Il est également vice-président du groupe LR à l’Assemblée nationale » depuis 2019 et qu’« en mai 2021, il revendique sa proximité avec Robert Ménard, maire d’extrême droite de Béziers ».
[31] « Guillaume Peltier appelle “les Français à la contre-révolution et à se remettre debout” », L’interview politique de Sonia Mabrouk, Europe 1, 13 avril 2021. Sonia Mabrouk est l’auteure de « Insoumission française – Décoloniaux, écologistes radicaux, islamo-compatibles : les véritables menaces » aux Éditions de l’Observatoire (2021).
[32] Après de nombreux autres et, déjà en 1987, Alain Finkielkraut (La Défaite de la pensée, Gallimard), Bernard-Henri Lévy (Eloge des intellectuels, Grasset) ou encore Allan Bloom (L’Ame désarmée, essai sur le déclin de la culture générale, Julliard).
[33] La défense du « mâle blanc de plus de 50 ans » semble être une obsession d’Alain Finkielkraut. « Mâles “Blancs” », terme repris par le président Emmanuel Macron et dont l’origine viendrait de l’analyse du « privilège blanc » de Peggy MacIntosh, universitaire et militante anti-raciste et féministe américaine. Pour une courte présentation de son livre, « White Privilege : Unpacking the Invisible Knapsack » (1988) on lira « Les privilèges des Blancs : Au-delà des apparences » sur le site de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Comme l’« islamophobie » et le « racisme structurel » ou « systémique » ou « institutionnel », le « privilège blanc » est au coeur de débats autour de « la race ». Voir le dossier coordonné par Juliette Galonnier et Jules Naudet, « Polémiques et controverses autour de la question raciale », La vie des Idées, 11 juin 2019.
[34] « Le grand remplacement est une théorie complotiste d’extrême droite, raciste et xénophobe selon laquelle il existe un processus, délibéré, de substitution de la population française et européenne par une population non européenne, originaire en premier lieu d’Afrique noire et du Maghreb » explique Wikipedia. Elle trouve son origine chez Maurice Barrès, à la fin du XIXe siècle et a été popularisé par Renaud Camus au début des années 2000. Interrogé par Le Monde, l’historien Emmanuel Debono ajoute que « Renaud Camus n’aurait fait qu’actualiser cette thèse après le 11 septembre 2001, en la vidant de sa substance antisémite pour l’adapter au choc des civilisations et à l’islamophobie ».
[35] Schmitt et autres idéologies ayant inspiré le IIIe Reich. Ajoutons la guerre « révolutionnaire », chez les militaires et décideurs formés en France ou à l’étranger (Argentine, Côte d’Ivoire, Rwanda, Burundi…).
[36] Un « problème musulman » ou lié à l’Islam, l’Islam « radical », le « séparatisme islamiste », le « séparatisme islamique », le « séparatisme » ou le « communautarisme » dont on devine qu’ils seraient « islamistes » ou « islamiques », les immigrés de confession musulmane, les immigrés non-européens ou les immigrés tout court, les “Arabes” et les “Noirs”, les « islamo-gauchistes » et autres « islamo-compatibles »… selon que le discours soit plus ou moins « décompléxé ».
[37] Abdellali Hajjat, Marwan Mohammed, « Islamophobie – Comment les élites françaises fabriquent le ”problème musulman” », La Découverte, 2016.
[38] Lire l’encadré « l’accusation en miroir ».
[39] Bernard Harcourt, L’invasion du Capitole ou la contre-révolution américaine, Guerre Moderne, n°1, 25 avril 2021.
[40] « Comparaison n’est pas raison » disait Sarcloret, et il ne s’agit pas ici de prétendre que l’« alt-right » américaine aurait son strict équivalent français. Nous aurions aussi bien pu pointer ses convergences avec les militants de l’Hindutva (Sitara Thobani, « Alt-Right with the Hindu-right : long-distance nationalism and the perfection of Hindutva », Ethnic and Racial Studies, 2018), qui cherchent à redéfinir l’Inde comme une « nation hindoue », ou encore l’extrême droite brésilienne, allemande, israélienne…
[41] Dans un billet de blog donc très pessimiste sur les évolutions en cours, Frédéric Lordon revient notamment sur « l’installation dans le paysage d’une gauche d’extrême droite (Valls, Printemps républicain) ». Frédéric Lordon, « Fury room », Le Monde Diplomatique, 22 mai 2021. Quelques semaines plus tard, Valls et Huchon (ancien président de la région) appelaient à voter pour Valérie Pécresse aux régionales en Ile-de-France pour faire barrage à la liste d’union de la gauche…
[42] « une proposition communiste, celle par exemple qui s’élabore à partir du salaire à vie ou de la garantie économique générale », ajoutant que « contre la solution de ré-ancrage fasciste, contre l’arkhé fasciste, il n’y a aucune autre voie que la proposition globale d’une contre-arkhé, une arkhé à la fois anticapitaliste et antifasciste : une arkhé communiste ».
[43] Dominique Frager, vidéos du Séminaire « Mise en perspective d’une avant-garde intellectuelle et politique » sur je groupe et la revue Socialisme ou Barbarie, qui retrace les différentes étapes de développement de la production intellectuelle et de la tentative de construction de cette organisation politique et laboratoire d’idées où passeront nombre d’intellectuels – Cornelius Castoriadis, Claude Lefort, Jean Laplanche, Jean-François Lyotard, Pierre Souyri, Guy Debord…
[44] Jacques Morel, Goerges Kapler, Hubert Védrine, gardien de l’Inavouable, La Nuit rwandaise, n°2, 2008.
[45] Guerre Moderne reviendra dans une série d’articles sur la question de la participation ou de la complicité de l’État français — et de l’église – dans le génocide commis contre les Tutsi au Rwanda. Déjà sur Guerre Moderne : Bruno Boudiguet, France-Rwanda : « la justice est absolument nécessaire pour pouvoir avancer », entretien avec Yolande Mukagasana et Stéphane Banarjee, La France au Rwanda : de « responsable mais pas coupable » à « responsable mais pas complice ».
[46] se référant à Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise. L’implication française dans le dernier génocide du XXeme siècle, p. 503 et A. Lacroix-Riz, Le choix de la défaite, p. 298-299 et R. Paxton, La France de Vichy, p. 243.
[47] Projet d’analyse des opinions de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Ile-de-France (ISC-PIF, laboratoire du CNRS) qui utilise les Big Data issus des réseaux sociaux. https://politoscope.org
[48] Dès octobre 2017, Judith Waintraub (Le Figaro) dénonce les relais « intellectuels, responsables politiques ou acteurs associatifs » de l’« islamo-gauchisme », catégorie regroupant aux côtés de l’islamologue Tariq Ramadan, des chercheurs et journalistes (Edgar Morin, Geoffroy de Lagasnerie, Emmanuel Todd, Pascal Boniface, Alain Gresh ou Edwy Plenel), des personnalités politiques (Benoît Hamon, Jean-Louis Bianco, Danièle Obono, Clémentine Autain, Caroline De Haas) ou associatives (Rokhaya Diallo, Marwan Muhammad, Sihame Assbague, Houria Bouteldja, …). Rappelons aussi que durant l’entre-deux tours de la primaire de la gauche, en 2017, « le clan Valls » accusait Benoit Hamon d’« islamo-gauchisme ». Malek Boutih, un des principaux lieutenants de Manuel Valls, ira jusqu’à qualifier Hamon de « candidat des Indigènes de la République ».
[49] Les personnes politiques les plus ciblée à travers ce terme d’« islamo-gauchisme » depuis que des membres du gouvernement l’on repris sont les élus de la France insoumise, dont Jean-Luc Mélanchon [candidat à la présidentielle], et dernièrement Audrey Pulvar [candidate socialiste aux régionales en Ile-de-France].
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